• Jonestown's massacre

    Jonestown, 17 Novembre 1978 (21h56)

    Je suis très excité. Encore quelques heures et je toucherai au but.

    Cela fait 25 ans que je me bats pour cet instant. Tout avait commencé à Indianapolis... Je m'en souviens encore comme si c'était hier. La galère que c'était ; fonder une église ! Mais j'y suis arrivé. 25 années d'efforts...

    Je m'appelle Jim Jones, je suis le gourou de l'église, ou plutôt devrais-je dire de la secte, le « Temple du Peuple ». Ce soir, l'oeuvre de ma vie touche à son but ultime. Hier, j'étais pauvre. Aujourd'hui, je suis riche. Et demain je serai immensément riche. Car demain, je fuierai avec la totalité de l'argent conservé sur les comptes de mon église.

    Je ricane dans ma barbe. Lorsque ce fouille merde de Ryan a déboulé ici, toutes trompettes sonnantes, il ignorait ce dans quoi il se jetait. Aucun fidèle ne parlera, je le sais parce qu'ils donneraient leur vie pour moi. Mais une petite voix au fond de mon crâne me susurre que certains ont quand même appelé ce pourri à la rescousse... Je réfléchis à ce fait avec perplexité. Mais au final... Ce n'est pas si grave... Il faudra juste leur donner un petit coup de pouce pour passer la "nuit blanche". Je ricane à nouveau.

    Dehors, la pluie se déverse en véritables torrents du ciel. Si Ryan avait pour projet de s'échapper comme un voleur une fois sa besogne faite, il se fourre le doigt dans l'oeil ; la pluie se chargera de saboter sa fuite. Je m'arrache à la contemplation de l'averse et me dirige vers mon lit, mes bagages sont prêtes, de même que l'est mon compte aux îles caïmans. 30 millions de dollars, voilà tout le pactole que j'ai pu amasser depuis ces 25 dernières années. Pas mal... Surtout quand on sait que j'ai commencé en faisant du porte à porte pour vendre des singes de compagnies.

    Mes chevaliers m'attendent dans la pièce voisine, ils sont là pour recevoir leurs dernières instructions. Demain sera le grand jour, celui où le monde saura que l'on ne s'attaque pas impunément à un dieu vivant. 22h, c'est l'heure.

    Je rentre dans la petite pièce enfumée de cannabis et d'opium, mes guerriers se préparent mentalement pour leur dernier job, ils sont les seuls actuellement à avoir une idée de ce qui se prépare. Toute les attentions se fixent sur moi dès que je pénètre dans la pièce. Mon second est le seul à être encore sobre, il attend dans le coin de la pièce derrière mon pupitre, très concentré. J'aurais voulu qu'il en réchappe... Il est le seul en qui j'ai confiance dans cette ville ; il est mon seul ami. Je m'éclairci la gorge et me positionne derrière le pupitre, mon second me gratifie d'un sourire entendu.

    - Messieurs, l'heure est proche. Je viens de me concerter avec les esprits et ils sont unanimes : les forces majeures de notre monde sont en osmose parfaite pour que se réalise le rituel de la "nuit blanche". Il ne me reste plus qu'à enclencher celui-ci. J'ai commandé aux astres et aux nuages pour que notre communauté soit en autarcie complète pour l'accomplissement de la cérémonie. Plus rien ne peut l'empêcher à présent, pas même Leo Ryan. C'est pour cela que je vous ai rassemblé ce soir. Vous serez chargé de veiller au bon déroulement du rituel ainsi que de démasquer et abattre les traîtres qui se sont insinué dans notre communauté. L'équipe de Marco sera responsable de la préparation de la boisson sacrée, celle de Rodriguez sera chargée d'exécuter dans la plus grande discrétion possible les dissidents et traîtres à notre cause.
    Je me tournais alors vers mon second, toujours dans le coin derrière moi, yeux clos et visage fermé.
    "Quand à toi mon ami, tu sera chargé de régler la question de Leo Ryan".
    Il rouvrit les yeux et m'adressa un regard rassurant, demain, tout se fera sans anicroches.

    Jonestown, 18 Novembre 1978 (9h08)

    Tout se passe comme prévu. Mon bras droit a mis sur pied le plan le plus ingénieux qu'on aurait pu imaginer pour liquider Ryan et démasquer les traîtres à notre cause. Comme prévu, une fois que Rodriguez eut montré les dents et la lame de son couteau à Ryan, celui-ci prit peur et fuit vers son jet privé, accompagné de ses reporters, son caméraman et 15 des nôtres. Ils sont actuellement en fuite, poursuivi par Rodriguez et ses chevaliers fous, tous shooté au crack et armé jusqu'aux dents. Mon second est cependant introuvable... Bah ! Il réapparaîtra pour le rituel de cet après midi ; Marco a déjà fini de préparer la substance sacrée.

    Les fidèles sont très excités eux aussi, ils savent que l'heure du passage est proche et ils se réjouissent d'avance de pouvoir donner leur vie pour moi, les braves gens.

    En bas, dans la cours principale, les prières vont bon train, toujours sous la pluie battante. Une ambiance électrique règne partout dans la ville. Des coups de feu se font entendre au loin.  Ca vient de la piste d'atterrissage... Rodriguez doit avoir accompli sa tâche, Leo Ryan doit être mort... Bon débarras. Je regarde ma montre : 9h30, il est l'heure de célébrer la messe finale, celle à l'issue de laquelle je m'enfuirai pour les Bahamas, laissant plus de 1000 cadavres derrière moi. Je m'habille et m'apprête à descendre les escaliers en colimaçons qui relient ma chambre et l'autel des célébrations.

    Je fait une dernière fois le tour de cette modeste pièce que j'avais, à l'époque, décorée avec soin et goût. Un grand lit à baldaquin, recouvert de moustiquaires, occupais la plus grande partie de la surface disponible. Il restais juste assez de place pour un petit secrétaire en acajou, une table de nuit et une grosse horloge à pendule. C'était mon ambition principale pour la doctrine de mon église : nous sommes tous égaux, fidèle noir, fidèle blanc, femme, homme, enfant vieillard, chevalier ou gourou, tout le monde est logé à la même enseigne.

    Je me dirige vers la porte, rassuré, mes bagages sont définitivement bouclées, tout est prêt. Pourtant un détail cloche... Un silence pesant règne dans ma chambre, comme si toute la pièce attendais elle aussi de voir comment se déroulerait la suite des évènements. Seul le tic-tac de la grosse horloge à pendule au fond de la pièce perturbe le calme relatif. Tic... Tac... Tic... Tac... Tic... "Crac" Tac... "Clic"

    Seul une attaque en traître fait ce bruit : le "crac" du plancher qui grince sous le poids de l'agresseur et le "clic" de l'arme qu'on amorce.

    - Plus un pas Jim.

    C'était la voix de mon bras droit, mon homme de confiance, mon ami, j'avais été trahi.

    Jonestown, 18 Novembre 1978 (11h42)

    Je venais de finir la messe depuis mon balcon, contraint et forcé par mon second de ne pas quitter ma chambre. Il avait suivit la cérémonie depuis mon dos, son arme braquée sur ma nuque.

    Je n'ai compris que trop tard que c'était lui le traître. Il avait passé une bonne demi heure à m'exposer très calmement ses agissements et la raison de sa présence à mes côtés depuis le début. Lorsque Ryan était arrivé, clamant être le défenseur de la justice et de la liberté, j'avais cru à un canular ; mon église ne prônant que la tolérance et la liberté. Mais mon "ami" avait su détourner cette mine d'esprits perdus à son profit, ou plutôt au profit du gouvernement. Je n'avais jamais vraiment apprécié le fait de vivre dans le pays possédant un des meilleur service de renseignement au monde, surtout si ce service en question s'intéressait à mon église en particulier. La présence de ce revolver dans mon dos le prouvait : la CIA avait réussi à infiltrer et détourner ma secte.

    Des rumeurs courraient sur des disparitions et des expériences bizarres au sein même du village et des plantations de seigle, mais je n'y avais jamais vraiment prêté attention ; j'aurais dû. Un complot, c'était un complot phénoménal. La CIA savait ce qui se préparait, ils savaient que j'avais pour projet de liquider tout le monde sans bavure si jamais l'affaire me pétait entre les mains, ils avaient alors l'occasion de faire leurs expériences médicales atroces sur mes fanatiques en toute tranquillité. Une fois celles-ci finies, il leur suffisait d'introduire quelques-uns des leurs dans la communauté pour crier au scandale et faire débouler ce trou du cul de Ryan. Ils savaient que je paniquerais et enclencherais le suicide collectif, effaçant toute trace de leurs magouilles.

    Je n'ose imaginer ce qu'ils ont manigancé et trafiqué sur mes fidèles, la simple idée de ces pauvres gens soumis à des expériences Auschwitziennes me donne envie de vomir... Qu'ai-je fait ?

    - Ne soit pas triste Jim...

    Ce salaud se pencha sur moi. Je restais prostré par terre, pleurant au son de mes fidèles se tordant de douleur dehors, rongé par le cyanure. Des coups de feu retentissait de temps à autre, témoignant de la mort des récalcitrants.

    - Tu n'imagines même pas ce à quoi tu as contribué.

    Un sourire de dément se dessina sur son visage.

    - Grâce à ta petite secte grotesque, tu auras réussi à engendrer une société bien plus grandiose. Un nouveau monde est en marche. Un monde où les foules obéiront sans broncher au pouvoir en place, un monde où règne l'ordre et la discipline. Tes fidèles nous ont été très utiles Jim... Tes plantations de seigle aussi d'ailleurs.
    - Je ne comprends pas, je ne comprends rien... Mais qu'avez-vous fait bordel ?
    - As-tu déjà entendu parler du projet MK-ULTRA ?
    - Jamais.
    - Eh bien, il s'agit d'un projet issu d'une association d'université et orchestré par la CIA, dont je fait partie. Ce projet vise principalement à manipuler mentalement les individus afin d'obtenir ce que l'on désire d'eux. Les objectifs sont multiples et variés, démence, docilité, lavage de cerveau, obéissance, etc. Seulement, lorsque le projet vit le jour dans les années 50, on se heurta bien vite à des problèmes d'éthique et de tests humains : on manquait cruellement de cobayes. C'est alors que ta secte a vu le jour. Nous étions déjà amis à ce moment et j'ai tout de suite compris le profit que mon agence pourrait tirer de toi. J'ai proposé l'idée et je suis instantanément monté en grade ; j'étais devenu le fer de lance du projet MK-ULTRA. Tout allait bien pour moi, tu étais facilement manipulable, les cobayes ne manquaient pas et tu fermais les yeux sur les plaintes que tu jugeais trop sporadiques pour être prises au sérieux. Mais par dessus tout, tu t'entêtais à planter toi même tes céréales, mais de façon tout à fait amatrice diront nous...

    Là, son visage changeât, il pris un air encore plus fou. C'est vrai, j'ai toujours cru en une société qui cultiverait elle même sa nourriture, afin d'en assurer la bonne qualité, et en effet, cela avait toujours été fait de façon très naturelle, sans contrôle chimique ou quoi que ce soit d'autre. Cela avait engendré quelque problèmes de rentabilité, mais rien de très grave, hormis pour le seigle. Cette céréale avait toujours été sujette à de nombreux problèmes, et pourtant on s'entêtait à la planter... Je me rappelle pourtant avoir demandé qu'on arrête de la cultiver. Je lançais un regard interrogateur à mon second, qui comprit ma question.

    - Eh oui, c'était nous pour le seigle ! Dis moi Jim, sais-tu ce qu'est l'ergot du seigle ? Non ? Eh bien, c'est très facile : il s'agit d'un petit champignon ascomycète qui parasite très souvent le seigle, encore plus souvent quand on lui donne un coup de main, dit-il avec un clin d'oeil. Il se trouve que ce fascinant champignon produit un alcaloïde nommé N,N-diéthyllysergamide, puissant psychotrope hallucinogène mieux connu en tant que LSD.

    Mes yeux s'écarquillèrent, que me chantait-il là ? Mes champs de seigle ne seraient en fait qu'une immense usine à LSD ? Mais pourquoi ? Il dût comprendre mes pensées car il continua :

    - Eh oui, c'est notre petit ingrédient secret : le LSD. A dose raisonnable, et utilisé à bon escient, il devient la clé de la réussite. De nombreux scientifiques se sont cassés la tête pendant des années pour comprendre comment l'utiliser correctement pour nos objectifs... Mais ils n'y sont jamais arrivés, et leurs recherches furent interrompues par le scandale qui éclata en '74 grâce aux salopards du "New York Times". Je suis seul à présent Jim... Mon agence m'a renié et coupé les vivres. Il a fallu que je trouve un moyen de m'auto financer et c'est encore là que tu intervient : 30 millions de dollars ! Il a suffit que je me baisse pour ramasser l'argent, surtout le jour où tu m'a confié la gestion de tes comptes.

    Et là, il leva son arme vers ma tête. Je compris que j'étais baisé. Je n'avais plus rien. Ce salaud avait détourné ma fortune pour se l'approprier, il avait probablement fait aboutir son projet de manipulation mentale et il avait mené mon église à sa perte ; dehors, le silence régnait. J'étais résigné, cet enfoiré allait me flinguer et se tirer pour faire Dieu sait quoi de mon fric et de son produit miracle.

    - Assied toi Jim, je n'ai pas fini, je veux que tu saisisse toute l'ampleur de ce à quoi tu as contribué.

    Je m'assis sans discuter sur ma chaise de bureau.

    - Vois-tu, je suis seul mais pas tant que ça, dehors m'attendent 166 de tes citoyens. Ils seront, avec moi, les fondateurs d'un projet que j'ai baptisé "La Firme"... J'ai beaucoup observé les fourmis ces derniers temps... Et j'ai compris où se situe le problème de notre société : le chaos ! C'est comme ça que mon plan s'est mit en place. Le plus dur est déjà fait : mettre au point un neuroprocesseur et un ingénieux système qui injectent mon dérivé du LSD directement dans le cerveau du citoyens afin d'avoir un contrôle mental total sur lui. Il suffit que celui-ci se branche à une borne spécialement étudiée pour gérer la dose de produit qu'il faut lui administrer (en microlitre) et pour gérer les instructions à lui donner via le neuroprocesseur... Génial non ?

    Je veux en finir avec ce cauchemard. Toute cette histoire me donne envie de vomir. Je lui dis alors la seule chose qu'il me passait à l'esprit :
    - Ta folie n'a d'égale que ta connerie, enfoiré de capitaliste de mes deux. Un jour, tu verra un trou du cul dans ton style te fera le même coup de pute que tu m'a fait... Et là, je reviendrai de l'au-delà pour te rire au nez.

    J'espérais que ça l'exciterait assez pour qu'il presse la détente... C'est ce qu'il fit après avoir affiché un sourire narquois. Mais ce n'est pas ma tête qu'il éclata en premier, mais bien mes couilles. La douleur me pétrifia littéralement, j'étais totalement incapable de penser à autre chose qu'à mon appareil reproducteur réduit en bouillie.

    - C'est en quelque sorte mon rituel personnel, je castre avant de tuer. Son visage pris une moue sadique terrifiante. 
    - Va te faire foutre, Charlie !
    - Avec plaisir.
    Il re-tira ; mais dans ma bouche cette fois. J'aurai tout raté.

     


  • Commentaires

    1
    Ece
    Lundi 25 Août 2008 à 11:57
    J'adore ...
    ... l'allusion ascomycète etc ^^
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